Coline SERREAU, nous livre un extrait de son livre : « Coline Serreau » paru chez ACTES SUD
Ce moment de lecture vous transporte à l’époque de la guerre et vous raconte les courageuses actions de résistance de Marguerite Soubeyran, Catherine Krafft et Simone Monnier. A Dieulefit, la place de la Poste a été nommée « Place Marguerite et Catherine Krafft » en souvenir d’elles.

La guerre éclate. Les difficultés s’accumulent pour toute la France, et pour Beauvallon aussi.

On propose à Marguerite Soubeyran d’entrer dans la résistance et de cacher des enfants juifs. Elle accepte sans l’ombre d’une hésitation et organise le maquis dans les montagnes.

Les vivres deviennent rares et l’argent disparaît totalement. Et pourtant il n’y a jamais eu autant de monde à l’école car Beauvallon est devenu un havre de paix et de sécurité, un refuge pour les juifs, les résistants, enfants, adultes, pour les Allemands antifascistes, pour des intellectuels en danger comme Aragon et Elsa Triolet, des écrivains comme Pierre-Henri Rocher, l’auteur de Jules et Jim, des peintres qui deviendront célèbres comme Otto Wols ou Willy Eisenschitz, des musiciens, tous affluent, tous ont faim, tous sont accueillis et nourris gracieusement. C’est Catherine Krafft qui s’occupe du ravitaillement avec les adolescents juifs réfugiés ou les garçons de l’école. Chaque matin ils partent à vélo chez les paysans sympathisants, en évitant ceux qui pourraient les dénoncer, les convainquent de leur vendre ou donner des légumes, des fruits, des pommes de terre, quelquefois du beurre et des œufs et rapportent ces précieuses denrées à l’école pour nourrir la population beauvallonnaise chaque jour augmentée d’une foule de gens hagards, désespérés, aux abois. Marguerite Soubeyran et Simone Monnier font la cuisine, la classe, Catherine Krafft gère l’intendance, les réfugiés enseignent aux enfants les matières qu’ils connaissent, l’école fonctionne comme une sorte d’université de résistance, solidaire. Marguerite est incapable de refuser de l’aide à qui lui en demande. Un jour, une femme l’appelle au téléphone, elle parle d’une voix détruite. Son mari, diplomate et juif comme elle, est parti rejoindre De Gaulle à Londres. Elle n’a pas de nouvelles de lui depuis des mois, elle est persuadée qu’il ne reviendra plus, qu’il est mort déporté ou en mission, elle est restée à Paris, tout le monde a peur, se détourne des juifs, personne ne veut l’aider, l’étau des rafles se resserre. Quelqu’un lui a donné, en désespoir de cause, le numéro de téléphone de Beauvallon où il y a, paraît-il, une possibilité d’accueil… Elle est traquée, au bout du rouleau, elle ne sait plus quoi faire… Au bout du fil elle entend la voix de Marguerite, une voix ferme qui lui dit : “Venez tout de suite. » — « Oui mais j’ai un problème » dit-elle, « je n’ai plus un sou, juste assez pour le voyage, pas pour payer le séjour chez vous.” Marguerite lui répond : “Raison de plus pour venir le plus vite possible. » — « Oui mais j’ai un autre problème » dit la dame : « J’ai deux enfants en bas âge.” Marguerite lui répond : “Nous aussi nous avons beaucoup d’enfants, nous vous attendons.” La femme, Poumi Moïse, raccroche. En un coup de fil son monde a basculé du désespoir et de la terreur à l’espoir et à la joie. Elle n’a jamais oublié. Elle est arrivée à Beauvallon, y a vécu en sécurité avec ses enfants. Son mari est revenu après la guerre, tout s’est plutôt bien terminé pour elle.

Une autre fois, on annonce que les policiers français vont faire une grande rafle de juifs. À Beauvallon, la nuit, les juifs se retiraient dans les montagnes et dormaient dans des grottes.

L’organisation était la suivante : le matin avant de descendre de la montagne vers l’école, les enfants juifs guettaient depuis le plateau le signe qui leur indiquait s’ils pouvaient ou non venir sans danger. Ma grand-mère, Madeleine Monnier (la mère de Simone Monnier) était chargée d’afficher ce signe : elle devait mettre une couverture rouge sur le balcon de sa chambre si les policiers ou les Allemands étaient là, sinon, la couverture restait grise, et les enfants savaient qu’ils pouvaient descendre à l’école sans danger.

Mais quelques enfants juifs avaient été placés dans des fermes aux alentours, pour plus de précaution. Malheureusement, au cours de cette grande rafle, quatre d’entre eux avaient été dénoncés et emmenés à Lyon par les policiers français pour être remis à la Gestapo et envoyés à Auschwitz. Lorsque Marguerite, Simone et Catherine ont appris cela, elles ont décidé de tout faire pour les sauver. Catherine est restée à l’école pour faire rouler l’intendance, Simone et Marguerite sont parties à la poursuite des enfants. Lors d’une mémorable course contre le temps, en passant par Crest, Valence et Lyon, à force d’acharnement, en engueulant les policiers français dont certains venaient de villages de la Drôme que Marguerite connaissait bien, elles ont réussi à retrouver les enfants en détention à Lyon, à truquer leurs dates de naissance et à les faire s’enfuir in extremis avant le départ des convois pour Auschwitz.

Elles sont revenues à Beauvallon avec les quatre petits juifs sains et saufs.

Des années plus tard, Marguerite, Catherine et Simone ont toutes trois reçu la médaille des Justes pour cette action, puis sont entrées au Panthéon avec tous les autres “Justes parmi les nations”.

Voici le texte inscrit sur la plaque qui les honore :

“Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d’Occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s’éteindre. Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des juifs des persécutions antisémites et des camps d’extermination. Bravant les risques encourus, ils ont incarné l’honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d’humanité.”

PANTHEON M. SOUBEYRAN

PANTHEON M. SOUBEYRAN

MARGUERITE SOUBEYRAN

MARGUERITE SOUBEYRAN

CATHERINE KRAFFT

CATHERINE KRAFFT

PANTHEON C.KRAFFT

PANTHEON C.KRAFFT